Le genre semble être une donnée anodine. Elle ne l’est pas. L’atypisme de genre (gender queerness) est bien plus fréquent chez les autistes que dans la population générale. Le rapport spécial de nombreux autistes au genre a même un nom dans la communauté : « l’autigenre ».
Et en effet, je ne saisis pas complètement le concept de genre, plus précisément ce qu’il semble signifier pour le reste de la population.
Je suis biologiquement une femme, et cela ne me pose aucun problème. J’habite mon corps de femme et je me sens à l’aise dans ce corps. En fait, j’aime ce corps, il n’est pas parfait mais je n’ai jamais eu de complexe. J’ai même apprécié d’avoir mes règles, tout le truc femme/cycle lunaire. Je me sens vraiment biologiquement une femme.
Cependant je ne ressens pas de connexion avec l’expérience de la femme. Je ne partage pas les intérêts, les activités et les événements de la vie habituellement associés au fait d’être une femme. Je n’ai jamais fantasmé sur le mariage, être la princesse du jour en robe blanche, je n’ai jamais été intéressée par le maquillage, les bijoux, les vêtements, la mode, la décoration intérieure, le fait d’être en couple, d’avoir tout le statut de “femme adulte”. Je n’ai rien contre tout cela, je mets de l’anticerne et je décore ma maison, mais tout cela ne me dit rien de spécial. Je n’aime pas du tout bavarder au téléphone pendant des heures. Une conversation téléphonique doit durer au maximum 10 minutes et être utile et productive, par exemple à quelle heure on se donne rendez-vous, ou quel est le plan pour Noël.
Néanmoins il y a beaucoup de féminité en moi, je suis sensible, féminine, raffinée et gracieuse (note: ce sont juste des faits, je n’en tire aucune gloriole). En parallèle, il y a aussi beaucoup de masculinité. Je vis ma vie et je réagis, pense et me comporte souvent comme les hommes (au sens général mainstream du terme).
Pourtant je ne peux pas dire que je suis bigenre ou agenre. Cela ne reflète pas non plus ce que je ressens. Ces termes sont trop rigides, trop binaires. Ce que je ressens est à la fois féminin et masculin dans un sens “yin-yang” : tout est mélangé.
Après avoir beaucoup réfléchi, fait des recherches et interagi dans la communauté queer, la meilleure façon que j’ai trouvée de décrire mon ressenti sur mon genre et le genre en général, est que le genre n’est pas un attribut. C’est une identité à part entière, c’est un noyau, et il est fait de 3 dimensions entrelacées : biologique, énergétique et construction sociale.
Selon la médecine traditionnelle chinoise, l’énergie vitale des femmes est 2/3 yin et 1/3 yang, et celle des hommes 2/3 yang et 1/3 yin. Je crois que ce concept est vrai, mais certains d’entre nous êtres humains avons des ratios différents. Il s’agit en fait d’un spectre. Le genre est un spectre, tout comme la sexualité. J’ai l’impression d’être faite de yin et de yang de manière équilibrée (“50-50”), et comme le symbole Yin-Yang, l’un découle de l’autre et ils forment un tout.
En résumé, mon sexe est biologiquement féminin, sur le plan énergétique les deux sexes sont fusionnés en une seule et même énergie, et je ne me reconnais pas du tout dans la construction sociale des genres.
Et tout ceci explique sûrement pourquoi je me suis toujours sentie très proche des personnes trans, depuis des décennies. Sans être trans moi-même.
Je consacre un chapitre entier sur le sujet du genre, de la vie affective et sexuelle chez les Asperger dans mon livre de témoignages:
“Et si VOUS étiez autiste?” :