Film: « Divergente » (et son rapport avec l’autisme)

Divergente (Divergent) est un film de science-fiction américain de Neil Burger, sorti en 2014.
En tout cas le premier opus, car il y en a eu 2 autres par la suite.

C’est de la science-fiction, mais pas tellement, en fait.

Et surtout, j’en parle ici car dès la première fois que je l’ai regardé, j’ai tout de suite vu le lien avec la neurodiversité, plus précisément la place et le traitement des neurodifférents (dont les Asperger) dans la société.

Ce film décrit une société dystopique, dont le peuple est organisé autour de 5 catégories (« factions » est le terme choisi en anglais, et on peut parler de castes) avec chacune ses valeurs, ses missions de contribution à la société, ses us et coutumes, sa couleur de vêtements. Officiellement, c’est pour « préserver la paix ».
On naît dans sa Faction, mais à l’âge de 16 ans on est testé pour déterminer à quelle faction on appartient de nature, et on choisit au cours d’une cérémonie publique si on souhaite rejoindre cette catégorie ou rester dans celle de sa naissance (si elles sont différentes).
Déjà, on voit bien ici la description de la société telle qu’elle marche déjà.

divergente cérémonie du choix

Toute cette population vit dans un endroit type métropole décimée par une guerre nucléaire passée, cerné de barrières miradors immenses, et on lui dit qu’au-delà de ces barrières c’est le désert apocalyptique, invivable.
Pas question de sortir, donc…

Quelles sont ces factions? J’ajoute les mots anglais d’origine, car je les trouve plus parlants que la traduction choisie en français:

Les « Altruistes » (Abnegation), dont fait partie l’héroïne à sa naissance, faction des généreux, à qui est dévolu le rôle de gouverner car ils sont censés être incorruptibles.
« Je choisis de me détourner de mon reflet, de ne pas compter sur moi mais sur mes frères et sœurs, de me projeter toujours vers l’extérieur jusqu’à disparaître ».
Cela dit, leur cheffe et donc la cheffe/présidente de cette société est une vraie psychopathe sadique (Kate Winslett, excellente).
Donc discours officiel = « je veux servir mon pays, je place l’intérêt collectif/de la nation au-dessus de mon intérêt personnel », mais en réalité gouvernants = dominateurs prêts à tout pour garder leur poste…

Les « Audacieux » (Dauntless), ce sont les courageux, ils sont chargés de protéger la population.
« Nous croyons aux actes de bravoure ordinaires, au courage qui pousse une personne à en défendre une autre… Nous croyons qu’il faut crier pour ceux qui ne peuvent que chuchoter, qu’il faut défendre ceux qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes. »
Cela dit, leur entraînement ressemble plutôt à celui de la police et de l’armée plutôt qu’à celui d’assistantes sociales. Ça ne rigole pas avec les Audacieux. Leur chef est un psychopathe également. C’est cette faction que choisit l’héroïne, suite à l’assignation de la testeuse.

Les « Érudits » (Erudite) sont les plus savants, ou intelligents.
Leur credo est la diffusion de la connaissance comme solution à la paix entre les gens:
« L’ignorance se définit non pas comme la bêtise mais comme l’absence de connaissances. L’absence de connaissances conduit inévitablement à un manque de compréhension. Le manque de compréhension conduit à une déconnexion entre les personnes ayant des différences. La déconnexion entre les personnes ayant des différences conduit au conflit. La connaissance est la seule solution logique au problème du conflit. Par conséquent, nous proposons que pour éliminer les conflits, nous devons éliminer la déconnexion entre les personnes ayant des différences en corrigeant le manque de compréhension qui découle de l’ignorance par la connaissance. »
On ne sait pas trop à quoi ils servent concrètement, mais ils grouillent partout dans les allées du pouvoir et dans les équipes des gouvernants. Beaucoup derrière des écrans high tech. Ils conseillent, influencent.

Les « Sincères » (Candor) placent l’honnêteté et la vérité (parfois au point de manquer de tact) par-dessus tout. Au fil des ans, cette faction fournit les acteurs de la Justice, dignes de confiance et solides.
Leur credo: « La malhonnêteté a tendance à se répandre. La malhonnêteté est temporaire. La malhonnêteté rend le mal possible ».

Les « Fraternels » (Amity) placent la paix, la gentillesse et l’harmonie par-dessus tout. Ils sont portés par les valeurs de solidarité et chargés de cultiver la terre.
Leur credo: « Donne librement, en ayant confiance que l’on te donnera ce dont tu as besoin… Ne sois pas en colère. L’opinion des autres ne peut pas te nuire… Le mal est passé. Tu dois le laisser reposer là où il se trouve… Tu ne dois plus avoir de pensées cruelles. Les pensées cruelles mènent à des paroles cruelles et te blessent autant qu’elles blessent leur cible ».

Et il y a ceux qui n’entrent dans aucune catégorie, à savoir qu’ils ont des attributs dominants de plusieurs factions: les Divergents.
Ceux-là doivent faire semblant de ne pas être divergents. En effet, comme ils ne rentrent dans aucune case, ils sont traqués pour être éliminés.

Et enfin il existe un autre « groupe »: les Sans-Faction. Ce sont les personnes qui n’ont pas réussi leur initiation dans la faction qu’ils ont choisie et qui vivent dans la pauvreté, faisant le travail que personne d’autre ne veut faire. Ce sont les concierges, les ouvriers du bâtiment et les éboueurs. Ce sont eux qui fabriquent les tissus, font fonctionner les trains et conduisent les bus. En échange de leur travail, ils reçoivent de la nourriture et des vêtements. Ils vivent dans des endroits tels que des routes effondrées, des métros vides remplis d’ordures et d’eaux usées. De ce fait, ils reçoivent souvent de la nourriture et des vêtements de la part des Altruistes. On découvre par la suite qu’ils ont le plus grand nombre de Divergents.


Et évidemment, l’héroïne fait son test et paf elle s’avère Divergente. Mais la testeuse, Divergente elle-même et en mode secret, lui dit et la couvre en inscrivant une catégorie normale dans son dossier.
A partir de là, l’héroïne suit sa difficile initiation, se bat pour survivre et avec d’autres Divergents tente de changer cet ordre des choses. A savoir: dézinguer Kate Winslett et sa bande, et grimper par-delà les miradors pour voir ce qui se passe de l’autre côté.
(Elle rencontre l’amour aussi, c’est cool.)

Je ne sais même pas par où commencer tellement j'ai de choses à dire sur tout ça en rapport avec les autistes Asperger.
Le triage à l'adolescence

Le triage dès le lycée avec les filières du bac. Mais quelle connerie cette idée. Comment peut-on décider en 3ème, c’est-à-dire vers l’âge de 14 ans, quel métier on veut faire plus tard ? On ne sait RIEN de la vie, des milliers d’activités professionnelles qui existent. On ne sait pas non plus, et on ne nous le dit pas, qu’on peut CRÉER son métier.
Et cette idée de métier à vie, c’est pas débile, ça ? En tout cas totalement dépassé ?

Pourquoi se spécialiser dès la seconde ?? Il est bien temps de se spécialiser après le bac, où est l’urgence ? A quoi ça sert sinon à faire rentrer les humains dans leur catégorie le plus tôt possible?

Et pour les Asperger (et tous les neurodifférents), c’est l’enfer. Nos multiples centres d’intérêts, voire aptitudes intellectuelles, ne rentrent pas dans les cases. Quelle agonie de devoir choisir une filière. Moi c’était il y a 40 ans et je m’en souviens encore, tellement ça m’a traumatisée. Ce que je voulais, c’est un panaché de matières. Je voulais être astronaute ou danseuse professionnelle. Ou les deux en même temps. Je voulais apprendre la génétique ET la philosophie. La physique quantique ET la gymnastique rhythmique.
Choisir une filière fut un étouffement, une amputation de mon imagination et de mon potentiel. C’est à cette période que j’ai commencé à baisser ma flamme. Par obligation. Et parce qu’on me renvoyait le message que mes envies étaient des chimères irréalistes. Qu’il fallait choisir. Quel réductionnisme, quelle étroitesse d’esprit. Quel gâchis.

A l’époque (et encore maintenant, j’ai l’impression) on disait que la filière généraliste, celle qui permettait le plus de débouchés, c’était la C (S). Oui, c’est vrai en termes de débouchés. Mais il n’empêche que les programmes en S sont matheux. Je ne vois pas où est la généralité. Ça veut dire que pour se donner du temps, pour retarder le choix de métier et donc d’études en rapport, il faut se gober des années de math, physique et chimie. Et si on n’aime pas, ou qu’on ne peut pas ? Pourquoi devoir être matheux pour être éclectique ?
Ça me dépasse complètement.
J’ai eu mon bac C avec 4/20 en maths et 8/20 en physique. Heureusement que je cartonnais dans les autres matières.

Ce qu’il faudrait à la place de ces filières à programme pré-formatté, c’est un système de cours de tronc commun + des cours à la carte en fonction de ses aptitudes, goûts et éventuels projets post-bac, cours que l’on choisit en début d’année. Pour rester généraliste et éclectique le plus longtemps possible, et acquérir davantage de connaissances variées avant le bac. Ça sert toujours dans la vie, la culture.

Le triage professionnel

Ensuite, une fois que le test (les conseillers d’orientation) te dit à quelle catégorie tu appartiens, tu as 2 choix: rester dans ta faction (déterminisme social) ou rejoindre la catégorie qui t’est assignée (études, métier).
Seulement, quand tu es divergent tu es plus large que ta catégorie. Quand tu es Asperger tu as plusieurs talents, plusieurs intérêts spéciaux devenus des aptitudes de niveau professionnel. Tu as besoin de nourrir ta curiosité, ton cerveau, ta soif d’informations, de découvertes.
Donc au bout de quelques années tu te fais sérieusement chier dans ton métier, et même ta catégorie.

Sans compter que les codes sociaux qui la régissent te paraissent artificiels, inutiles, pesants. Et en plus on te reproche de ne pas les adopter. Tu ne le fais même pas exprès! Ce n’est pas de la rébellion, c’est juste que tu ne les intègre pas, car ils sont stupides et contre-productifs.

Bref, tu t’ennuies ET tu ne t’intègres pas.

Alors qu’est-ce que tu fais ? Et bien tu changes de métier, voire de faction. Tu retournes à l’école ou tu suis une formation courte, ou tu envoies tout ballader et tu pars vivre sur une île. J’ai fait tout ça. Par exemple, je suis retournée à l’école à 40 ans, j’ai tout vendu pour aller vivre 2 ans à Ibiza.
Tu étouffes avec les codes de ta faction alors tu côtoies d’autres factions. Voire tu vas vivre à l’étranger. J’ai aussi fait tout ça. J’ai radicalement changé de métier plusieurs fois et je continue; j’ai vécu et travaillé dans 8 pays, voyagé dans une soixantaine.

Et tu t’aperçois qu’on te le reproche aussi: tu as un CV invendable. Perçu non pas comme une accumulation d’expériences mais comme un chemin erratique, plein de trous (?), sans apparente logique.
Du coup tu flirtes avec le chômage. J’ai aussi connu le chômage.
Malgré leur formation et leur QI, environ 80% des autistes sont sans emploi, les autres sont souvent en situation d’emploi précaire / à temps partiel dans des jobs largement en-dessous de leurs aptitudes et qualifications.
Si tu es Divergent.e tu risques en effet beaucoup de grossir les rangs des « Sans-Faction ».

Le camouflage

Alors qu’est-ce que tu fais ? Tu masques.
Tu prends sur toi, tu rentres tes ailes, tu ne te plains pas, tu te comportes comme les NT, tu suis une carrière « normale », tu ne parles plus de tes centres d’intérêt atypiques. Tu gommes une énorme partie de toi, pour être accepté.e. Pour vivre dans la faction, ne pas être dégagé.e. Tu fais comme la testeuse dans le film, et tous les autres Divergents disséminés dans les factions.

Le prix à payer: tu ne sais plus qui tu es.
C’est pourquoi tu ressens un énorme soulagement à la présence d’autres Divergents dans ta faction et ailleurs, à les connaître personnellement, à interagir avec eux. Entre nous, enfin nous-mêmes.

Le militantisme

Et tu découvres, comme l’héroïne, que certains militent, se battent pour faire changer les choses.
Bien-sûr nous ne prenons pas les armes!
Mais les suffragettes, le MLF, la cause LGBTQI+ (voir le film 120 battements par minute) nous apprennent que pour faire vraiment avancer les choses, les discours ne suffisent pas. Malheureusement.

L'eugénisme

Définition: « L’ensemble des méthodes et pratiques visant à sélectionner les individus d’une population en se basant sur leur patrimoine génétique et à éliminer les individus n’entrant pas dans un cadre de sélection prédéfini ». (Wikipédia)
« Théorie cherchant à opérer une sélection sur les collectivités humaines à partir des lois de la génétique. » (Larousse)

Pourquoi ces milliards de $ et € dans la recherche sur l’autisme ? Personnellement je m’en fous de savoir pourquoi je suis autiste. Alors la société, pourquoi cherche-t’elle autant ?

L’eugénisme est envisagé par une partie de la population, des associations, et même des autorités, pour « éradiquer » l’autisme. Tous les tenants du paradigme de la maladie, de l’épidémie, du handicap intrinsèque, sont à deux doigts (et certains ont déjà basculé) de caresser le rêve de détecter l’autisme dans le ventre de la mère pour permettre un avortement thérapeutique.
Les slogans et les déclarations de mission qui gravitent autour du vocabulaire « Vaincre l’autisme » reflètent un danger d’eugénisme, et donc un danger de mort pour les autistes.
Certes, il existe plusieurs « formes » d’autisme, et je parle en tant qu’autiste Asperger. Pour certains j’ai de la chance. Il y a pire. Mais dans une société qui autoriserait l’avortement thérapeutique des fœtus porteurs du gène de l’autisme, j’aurais été tuée avant ma naissance.
Eradiquer l’autisme revient à éradiquer les autistes. L’autisme n’est pas un virus ou une bactérie ou un déséquilibre mental à corriger, une « couche » qui serait distincte de l’être humain et que l’on pourrait éliminer, pour en libérer l’autiste.
Vouloir « vaincre l’autisme », c’est vouloir éliminer les personnes autistes. Physiquement, ou socialement.

Or, le monde serait bien nul sans les autistes. Notre contribution à son évolution est majeure, comme en témoigne cette liste d’autistes célèbres.

Tant que la société, c’est-à-dire les gens, toi, lui, elle, iel, ne se seront pas mis ça dans le crâne, les autistes se sentiront en danger. Comme les Divergents.

Et pour finir: Le diagnostic

Ok, donc, tu vis ton enfance et adolescence, voire ta vie d’adulte, dans ta catégorie. Mais tu sens que quelque chose ne colle pas. Pourtant tu adhères aux valeurs, tu aimes bien les métiers associés, enfin, tu n’as pas trop de comparaison, mais ça t’est familier. Tu te fais des amitiés avec des gens de ta faction. Tu as des hobbies. Mais au fond de toi tu sens que tu es différent.e. Tu ne sais pas mettre de mots sur cette sensation. Tous les jours tu ressens un décalage, dans des situations mineures ou majeures. Mais bon, c’est ta vie, tu vas à l’école, tu joues / tu vas travailler, tu as des loisirs.
Mais un jour tu passes un test. Une évaluation. Comme dans le film, c’est une fouille en profondeur de ton psychisme, on te place virtuellement dans des situations déstabilisantes, tu dois répondre, réagir, t’expliquer.

divergente test

Et le diagnostic tombe: tu es Divergent.e. Autiste Asperger, ça s’appelle.
Et le premier message que la société te livre, comme la testeuse dans le film, c’est: « Surtout, cache-le ».

Eh ben non. Je ne le cache pas.
Et je m'active pour que la neurodiversité ne soit plus considérée comme une "non-faction" mais comme une faction à part entière. Avec sa place et sa contribution dans la société.

Voilà pourquoi ce film me fait vibrer.

Et tu vois, Petit Scarabée, c’est possible de faire changer les choses. Continuons de faire bouger les lignes 🙂

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