« En cas de traumatisme majeur, ce que vous avez vu et ressenti, l’image, les émotions, les sensations physiques et les pensées, tout est encodé dans la mémoire sous sa forme d’origine, sans avoir été traité. »
Le pitch:
Dans cet ouvrage, Francine Shapiro, Docteur en psychologie au Mental Research Institute de Palo Alto et fondatrice de la thérapie EMDR, explique en termes clairs et accessibles le fonctionnement du cerveau, et, à partir du récit de nombreux cas résolus par l’EMDR, propose des exercices simples qui permettront au lecteur de mieux comprendre certaines de ses réactions et de modifier en profondeur son comportement.
En effet, qu’on ait connu seulement de légers revers ou au contraire des traumatismes majeurs, la vie de chacun d’entre nous est influencée par ses souvenirs, et par des expériences parfois oubliées ou mal comprises qui nous font agir comme à notre insu. Dépasser le passé vous propose des récits de cas qui éclairent la condition humaine, et des techniques efficaces et pratiques pour prendre sa vie en main.
Mon avis:
L’EMDR est une technique de psychothérapie mondialement reconnue pour son efficacité. J’en ai fait l’expérience, l’EMDR a changé ma vie.
Je parle de ce livre dans ce blog sur l’autisme car une vaste majorité, si ce n’est la totalité, des autistes fait l’expérience de stress intense dû à nos différences cognitives et sensorielles. Ou plutôt, dû aux comportements et réactions négatives et souvent maltraitantes des NT. De ce fait, les symptômes de stress post-traumatiques sont fréquents.
De toutes les thérapies que j’ai essayées, l’EMDR a été la plus efficace.
Extrait
Cet extrait explique de façon limpide l’EMDR.
Note (au cas où tu te demandes, et tu as bien raison): il est public, et donc sa reproduction est autorisée.
Chapitre 2
L’esprit, le cerveau, et les choses qui comptent
Nous interagissons tous avec le monde qui nous entoure grâce à des cerveaux et des corps qui ont, d’une personne à une autre, davantage de ressemblances que de différences. La plupart des gens, par exemple, font tout leur possible pour leur famille et pour eux-mêmes.
Pourtant, en dépit de ces points communs, des obstacles se présentent souvent. Nous comprendrons plus facilement les raisons de ces obstacles quand nous aurons exposé l’arrière-plan des procédures que nous allons étudier. Des facteurs génétiques entrent certainement en ligne de compte. Mais la façon dont on considère le monde et dont on interagit avec les autres est largement construite sur nos propres expériences individuelles ; celles-ci sont stockées dans des réseaux mémoriels, qui forment la base de nos perceptions, de nos attitudes et de
nos comportements.
Ces réseaux relient entre eux les événements similaires. Par exemple, si on me demande de nommer plusieurs fruits, je peux le faire sans difficulté. Dans mon esprit, ils sont associés au sein d’un réseau mémoriel : pommes, oranges, poires, myrtilles… Si je vois une pomme, je la reconnais aisément comme un fruit parce que j’en ai déjà vu auparavant. Ce que je vis, à tout moment, se relie à mon réseau mémoriel de vécus antérieurs, de sorte que je peux y trouver du sens. Cependant, si un enfant n’a jamais vu de pomme, il peut ne pas savoir quoi en
faire : c’est rouge, et c’est rond : c’est une balle ? La conscience que nous avons du monde extérieur, dans tous ses aspects, passe par nos cinq sens (vue, toucher, odorat, ouïe, goût) dans la mémoire de travail. Celle-ci se connecte ensuite automatiquement à tout un éventail de réseaux mémoriels cérébraux, pour nous permettre de comprendre ce que nous percevons.
C’est un processus permanent, chez tout le monde. Même les mots sur cette page doivent se connecter à vos réseaux mémoriels pour que vous puissiez comprendre ce que vous êtes en train de lire. Les gens que vous voyez, les personnes avec lesquelles vous êtes en rapport, toutes vos expériences du moment présent et les perceptions que vous en avez, tout se relie à vos réseaux mémoriels pour que vous puissiez y trouver du sens. À l’intérieur de ces réseaux mémoriels sont stockées toutes vos expériences antérieures. Les réseaux mémoriels sont donc la base de vos émotions, de vos pensées et de vos comportements du moment présent. Ainsi, vos réactions aux autres, et leurs réactions envers vous, sont tout autant fondées sur des expériences passées que sur ce qui se dit ou se fait dans le moment présent.
Pourquoi le temps ne referme pas toutes les blessures
Si nous nous coupons, notre corps cicatrise, sauf cas particulier. Si on supprime ce qui, dans la situation particulière, l’empêchait de cicatriser, le corps reprend le processus de cicatrisation. C’est pour cela que nous acceptons d’être incisé au cours d’une intervention chirurgicale : nous savons que l’incision va cicatriser.
Le cerveau fait partie du corps. En plus des millions de réseaux mémoriels que je viens d’évoquer, nous avons tous, dans le cerveau, un mécanisme de guérison : le système de traitement de l’information. Il a la capacité de faire passer n’importe quelle perturbation émotionnelle à un niveau de santé mentale ou à ce que j’appelle un niveau de « résolution adaptée ». Il s’agit d’une résolution comprenant les informations utiles qui vont nous permettre d’être mieux à même de survivre. Le système de traitement de l’information est conçu pour faire des connexions avec ce qui nous est utile, et laisser tout le reste de côté. (…) Le cerveau est programmé pour remplir ce rôle. Quand un traitement de l’information a eu lieu sans interruption, le souvenir de l’altercation s’est en général connecté à des informations plus utiles déjà présentes dans votre cerveau. Il peut s’agir d’expériences antérieures que vous avez pu avoir, avec ce collègue ou avec d’autres. Vous
pouvez par exemple dire maintenant : « Oh, il est comme ça, voilà tout. Et puis j’ai déjà vécu quelque chose de ce genre avec lui, et ça s’est bien terminé. » Pendant que ces souvenirs se connectent à l’incident désagréable, votre vécu de celui-ci se modifie. Vous apprenez ce qui peut vous être utile dans la dispute, et votre cerveau se débarrasse de ce qui ne l’est pas. Comme les émotions et les pensées négatives ne vous servent à rien, le cerveau les évacue. Mais ce que vous deviez apprendre subsiste, et maintenant le cerveau stocke le souvenir de l’événement sous une forme vers laquelle il pourra vous guider à l’avenir.
Maintenant, vous savez mieux ce que vous avez à faire. Vous pouvez échanger avec votre collègue sans ressentir l’intense perturbation émotionnelle de la veille. Le système adaptatif de traitement de l’information du cerveau s’empare ainsi d’un vécu difficile, et nous permet d’en tirer un apprentissage. C’est exactement le rôle pour lequel il est prévu.
Malheureusement, qu’il s’agisse de traumatismes majeurs ou d’autres sortes d’événements, des vécus perturbants peuvent submerger ce système. Dans ces cas, l’intense perturbation physique et émotionnelle causée par la situation empêche le système de traitement de l’information de faire les connexions intérieures qui permettraient de la résoudre. Au lieu de cela, le souvenir de la situation est stocké de façon brute dans le cerveau, comme elle a été vécue : ce que vous avez vu et ressenti, l’image, les émotions, les sensations physiques et les pensées, tout est encodé dans la mémoire sous sa forme d’origine, sans avoir été traité. Et, chaque fois que vous voyez le collègue avec lequel vous vous êtes disputé, au lieu d’être capable d’avoir avec lui une conversation calme, vous êtes à nouveau envahi par la colère ou la peur. Vous pouvez essayer, pour vous préserver, de gérer de votre mieux vos émotions, mais, chaque fois que cette personne apparaîtra, vous allez être fortement affecté.
Quand des réactions comme celles-là refusent de disparaître, c’est souvent parce qu’elles se connectent aussi à des souvenirs non traités du passé. Ces connexions inconscientes se font automatiquement. (…)
Perturbé, le système de traitement de l’information a en effet stocké ce souvenir dans un endroit à l’écart ; il n’a pas été intégré au sein des réseaux mémoriels. Cette situation ne peut pas se modifier, puisque le souvenir ne peut se relier à rien de plus utile ou de plus adapté. C’est pour cela que le temps ne referme pas toutes les blessures, et qu’on peut toujours ressentir de la colère, de la rancune, de la douleur, du chagrin ou toutes sortes d’autres émotions en pensant à des événements qui se sont pourtant produits il y a des années. Ces événements sont figés dans le temps, et leurs souvenirs non traités peuvent être le fondement de difficultés d’ordre émotionnel, et parfois physique. Même si vous n’avez pas eu de traumatisme majeur dans votre vie, les études ont montré que d’autres sortes de vécus peuvent créer les mêmes difficultés. Et comme les connexions mémorielles se font automatiquement, en dessous du niveau de la conscience, vous pouvez très bien n’avoir aucune idée de ce qui agit à votre insu dans votre vie. (…)
La thérapie EMDR
D’où vient l’EMDR ? Comment s’est-elle développée ? Pourquoi est-elle efficace ?
Tout a commencé grâce à une découverte que j’ai faite concernant les mouvements oculaires. Je marchais dans un parc public, en juillet 1987, et je me suis brusquement rendu compte que certaines pensées perturbantes que j’avais venaient de disparaître. Je ne sais plus de quoi il s’agissait. C’était le genre de pensées agaçantes, tenaces, qui tournent autour d’une difficulté du moment et qui vous obligent en général à faire quelque chose pour vous en débarrasser. Quand j’ai ramené ces pensées, elles n’avaient plus la même « charge ». Elles ne m’ennuyaient tout simplement plus. Surprise, je me suis demandé ce qui avait causé cette réaction. Tout en poursuivant ma promenade, je suis devenue très attentive. Et j’ai remarqué que, quand ce genre de pensée me venait à l’esprit, mes yeux se mettaient à aller et venir très vite, en diagonale, toujours de la même manière ; et la pensée disparaissait de ma conscience. Quand j’y pensais de nouveau, elle avait perdu sa force. Fascinée, je me suis mise à le faire délibérément : j’ai pensé à quelque chose qui m’ennuyait, et j’ai commencé à faire les mouvements des yeux ; et ça s’est reproduit : mes émotions changeaient. (…)
À la fin de mon doctorat, pour ma thèse, j’ai décidé de faire une étude contrôlée de ma procédure. Le plus pertinent semblait être d’étudier le traitement de souvenirs anciens. Je me suis demandé qui aurait le plus de problèmes de cet ordre ; c’étaient évidemment les victimes d’abus sexuels et les anciens combattants. Cela m’a amenée à travailler avec des gens qui avaient un diagnostic d’état de stress posttraumatique (ESPT).
En 1987, l’ESPT était un diagnostic reconnu depuis seulement sept ans. À l’époque, il n’y avait aucune étude scientifique rigoureuse validant une forme quelconque de thérapie pour ce trouble, et il était considéré comme extrêmement difficile à traiter. Je décidai donc de tester l’efficacité de ma procédure avec des gens souffrant de ce trouble.
Les résultats de mon étude randomisée contrôlée furent publiés en 1989 dans le Journal of Traumatic Stress. Comme vous pouvez le penser, cet article, décrivant un tout nouveau type de thérapie qui utilisait des mouvements oculaires et qui apportait des bénéfices très rapides aux victimes de trauma, a soulevé beaucoup de controverses. Comme dans n’importe quel autre domaine, quand on s’écarte de la compréhension communément admise, on voit des sourcils se lever et des poils se hérisser.
Comment de simples mouvements oculaires auraient-ils le moindre effet ? Comment une thérapie, quelle qu’elle soit, peut-elle donner des résultats en seulement une séance ? Un des « pères » de la thérapie comportementale présenta mes découvertes comme « une avancée majeure » lors d’une importante conférence, mais d’autres demandèrent comment quelque chose qui paraissait aussi simple pouvait produire des résultats aussi spectaculaires. Certains demandèrent tout de suite à se former, parce que rien de ce qu’ils pratiquaient jusque-là ne marchait bien pour les ESPT. D’autres estimaient au contraire qu’il ne fallait former personne.
Un membre du conseil éditorial du Journal of Traumatic Stress, où mon premier article avait été publié, contacta le rédacteur en chef pour lui dire qu’il était certain que la revue avait été dupée. Cependant, comme il était responsable d’un programme de traitement des ESPT pour le ministère des Anciens Combattants, il vint se former lui-même à l’EMDR. Il y cibla un de ses propres souvenirs et il constata l’effet de cette thérapie. Il l’essaya ensuite avec ses patients et fut convaincu de son efficacité. Et c’est ainsi que la reconnaissance de l’EMDR s’est faite depuis 1990 : ceux qui l’expérimentent personnellement en deviennent en général les défenseurs. Ceux qui ont été influencés par la controverse des débuts restent sceptiques. Mais aujourd’hui, plus de vingt études scientifiquement contrôlées de l’EMDR ont prouvé son efficacité dans le traitement des traumatismes et d’autres expériences perturbantes. À ce jour, toute une série d’organismes dans le monde, y compris l’Association psychiatrique américaine et le ministère américain de la Défense, reconnaissent l’EMDR comme une forme efficace de traitement du trauma.
Je pensais initialement que l’effet des mouvements oculaires était de réduire la perturbation émotionnelle de la personne, ce qu’on appelle « désensibilisation » en thérapie comportementale : aussi ai-je appelé d’abord cette thérapie « désensibilisation par les mouvements oculaires ». Ce n’est qu’après ma première publication de 1989 que je me suis rendu compte de tout ce qu’on pouvait faire avec cette thérapie, au-delà de la réduction de l’anxiété. En modifiant les procédures, on pouvait accéder à des prises de conscience et à des transformations automatiques de toutes sortes d’émotions, de réactions physiques et de comportements. Les croyances à propos de soi-même, des autres et du monde en général pouvaient changer, ouvrant de nouvelles possibilités à la personne. Il apparut qu’en modifiant encore mes techniques, je pouvais m’assurer que les souvenirs que je ciblais étaient entièrement retraités, c’est-à-dire connectés aux autres souvenirs, réorganisés et mieux stockés. C’est pourquoi, après avoir développé encore la thérapie, j’ai fini par introduire le mot « retraitement » dans son nom.
J’ai découvert que d’autres formes de mouvements d’aller et retour pouvaient également être efficaces : les thérapeutes pouvaient utiliser, en plus des mouvements oculaires, des tapotements et des sons alternés. Certains scientifiques pensent que toutes ces techniques provoquent un recentrage permanent de l’attention, une « réponse d’orientation » qui se relie aux fonctions cérébrales qui apparaissent au cours du sommeil paradoxal. D’autres estiment que le fait de centrer l’attention sur le trauma, avec en même temps la stimulation extérieure (mouvements oculaires, tapotements ou sons), perturbe la « mémoire de travail ». Aujourd’hui, suffisamment d’études ont été réalisées pour que je pense que les deux interprétations sont vraies. Et si j’avais la possibilité de le faire, j’appellerais aujourd’hui cette thérapie « thérapie de retraitement ». Mais de nos jours, l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing, c’est-à-dire Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires) est connue sous ce nom dans le monde entier, et il est trop tard pour le modifier. (…)