Eric de Rus

L’expression poétique peut exprimer des choses que le concept philosophique ne peut pas.

Interview par KTO TV (2012)

Éric de Rus est philosophe et poète, reconnu notamment pour ses contributions sur la pensée d’Edith Stein.

Le titre de sa thèse de Doctorat de Philo : “Anthropologie phénoménologique et théorie de l’éducation dans l’œuvre d’Édith Stein.”. J’adore. J’adore les titres de thèses. Ce sont des portes ouvertes vers des concepts nouveaux, des associations improbables, des découvertes dans l’infiniment précis.

À l’âge de 23 ans, un événement majeur va bouleverser son existence: il apprend qu’il est atteint d’un cancer. L’épreuve avec un grand E. Le défi avec un grand D. La bataille et la victoire contre la maladie lancent son cheminement spirituel : « l’expérience indélébile de la Présence intérieure du Dieu-Amour ».

Et en chemin, plus tard, une autre étape majeure l’attend: la réalisation, et la confirmation, qu’il est autiste Asperger.

Et en effet, sans diagnostic on peut quand-même bien le deviner en parcourant son CV ébouriffant, décloisonné, foisonnant!

Tentative de synthèse:

Conférencier, Professeur au centre pédagogique Madeleine Daniélou (Rueil-Malmaison). Il enseigne actuellement dans le Sud-ouest de la France.
Diplôme d’Études Approfondies (DEA) de Philosophie (Université Toulouse Le Mirail 2, 2001).
Concours de l’agrégation de Philosophie (6ème/16, 2008).
Docteur en Philosophie ; thèse soutenue à l’École Normale Supérieure (ENS Ulm) à Paris, en 2018.

Et la marque de l’Asperger: un paquet d’activités inter-disciplinaires…: Philosophie collaborative en russe, allemand, anglais, Histoire, Histoire des Arts, poésie-chant, le corps et la quête spirituelle…

Un autre signe évident: la variété de la nature de ses publications (Etudes, Essais, Poésie, Collectifs, Articles) et de ses interventions (Colloques, Conférences, Récitals, Poésie-Chant, Radio, Télévision). Détails.

Parmi ces contributions multiples et passionnantes, je voudrais mettre en avant son dernier opus: “La Grâce d’Altérité“, qui concerne directement le rapport au monde lorsqu’on est sur le spectre autistique. Une exploration, des ressentis, une analyse de l’altérité Asperger, sans nommer la condition, véhiculée par une écriture si juste et si belle.

La Grâce d'Altérité, Eric de Rus, Asperger

Interview

Qui es-tu, qu’as-tu envie de dire à ton sujet ?
Mon nom est Eric de Rus, je suis un homme marié et l’écriture tient une grande place dans ma vie.  Je suis une personne à l’âme essentiellement poétique.

La philosophie est-elle pour toi une exploration, un voyage, ou portes-tu un message, un objectif par ton travail ?
Je me suis très tôt tourné vers l’étude de la philosophie, ai passé une agrégation et, plus tard encore, soutenu une thèse de doctorat dans ce domaine. Jusqu’à ce jour, l’enseignement de la philosophie correspond, socialement parlant, à mon « métier ». Mais ce qui  éclaire mon rapport à la philosophie, c’est une certaine manière d’être au monde. Je vis sous le signe du « pourquoi », d’un questionnement permanent, parce que « être au monde » n’a jamais été un fait mais une interrogation. À mes yeux, l’attitude philosophique fondamentale est d’offrir l’hospitalité aux questions, de leur accorder en soi-même le plus d’espace possible afin de les accompagner sur les chemins imprévisibles qu’elles inventent en nos existences. Ainsi vécue, la philosophie est pour moi une aventure, un voyage incarné de l’esprit à travers les immenses territoires de la pensée.

Je ne me considère pas comme porteur d’un message. En revanche, le travail de la pensée dans ma vie, lui, recèle un message. Une parole, ténue comme un murmure de fin silence, qui m’invite à une aventure passionnante. Cette aventure est celle de la condition humaine traversée par une inquiétude existentielle qui soulève sa pensée, suscite sa parole et fait de sa vie, à l’exemple d’Ulysse, une Odyssée, la quête d’une patrie où le cœur et l’intelligence trouveront une plénitude de Sens.

As-tu d’autres talents ?
Je crois que mon talent essentiel réside dans une perception poétique de la réalité, une manière d’être en résonance avec la vie, en connivence avec à la pulsation secrète des choses. Ce genre de perception de la réalité provient du centre silencieux de mon être où je trouve l’impulsion d’une parole vivante.

Quels sont tes projets ?
Mon projet essentiel, mon rêve, est de vivre jusqu’au maximum de mes possibilités. J’aimerais honorer jusqu’au bout l’aventure qui m’est proposée dans le temps qui m’est donné ici-bas en y engageant toutes les potentialités de mon être. Faire de mon passage sur cette terre une offrande d’amour.

Comment as-tu compris que tu es autiste ?
J’ai toujours vécu avec le sentiment incontestable d’une étrangeté au monde, d’une difficulté à trouver ma place dans ce monde. Le diagnostic d’autisme (Syndrome d’Asperger), reçu tardivement, est venu préciser cette intuition première. Il m’a permis de mieux comprendre certains fonctionnements qui ont toujours été les miens. Par exemple mon hypersensibilité sensorielle, la facilité avec laquelle les stimulus extérieurs produisent en moi une très forte surcharge sensorielle. Il y a aussi mon acuité immédiate aux détails, la passion avec laquelle j’investis sans compter certains centres d’intérêt. Ou encore mon besoin viscéral d’ordre, mon amour des rythmes réguliers et des rituels, à l’inverse des changements imprévus générateurs d’instabilité. Je comprends également mieux l’inévidence des interactions sociales du fait de mon inclination à rechercher le silence et la solitude, de ma difficulté à comprendre certaines règles ou à me conformer à certains codes, ainsi qu’à déchiffrer ce qui est implicite d’où mon besoin d’explicitation maximale.

Cette manière autre d’être au monde et d’appréhender l’existence m’a conduit à prendre conscience que j’étais doté d’une spécificité qui tient à la personne que je suis.

L’autisme étant caractérisé par une différence cognitive majeure, quelle est sa marque dans ton parcours de philosophie ?
S’il fallait retenir une différence cognitive majeure qui marque mon parcours philosophique, ce serait ma manière de vivre chacune des étapes de la démarche réflexive comme les articulations d’un geste de la pensée comparable à une ligne mélodique. Je vois et j’entends ce qui est de l’ordre de la pensée. Lorsque je lis un texte ou lorsque je pense et construis un raisonnement, c’est comme si je percevais dans mon esprit des lignes en mouvement qui forment une architecture. Plus le mouvement de ces lignes est fluide, plus l’édifice né de la rencontre entre ces lignes est équilibré, plus le paysage théorique que ces lignes dessinent est harmonieux, plus le plaisir que j’éprouve est profond. C’est un plaisir du même ordre que celui que me procure l’écoute d’une belle musique ou la contemplation d’une belle chorégraphie. Par conséquent, je dirais de cette « différence cognitive » qu’elle correspond à une certaine esthétique de la pensée en acte. Une esthétique dont je contemple un sommet dans les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, modèle de l’écriture musicale contrapuntique.

Qu’aimerais-tu dire à un.e autiste qui rêve de vivre ses talents ?
Je lui dirais ce que je dirais à toute personne : d’avoir le courage d’écouter son cœur et d’y répondre avec sincérité. Je crois que le grand défi est d’oser faire confiance à ce talent unique qui a été confié à chacun et qui est plus grand que ses peurs.


Eric de Rus, philosophe autiste Asperger

Eric de Rus

Contact: via LouveJoyeuse

Ses livres sur AmazonFnac

Un film documentaire (2018)

Des interviews:
KTO TV (2012) – KTO TV (2012)KTO TV (2014) – Le Jour du SeigneurZeteoTVL

Une série d’interviews par Radio Présence, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage: “La Grâce d’Altérité”:
Podcast 12345


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