Film: « Second Tour » (et son rapport avec l’autisme)

Hier soir je suis allée à une avant-première du dernier film d’Albert Dupontel, qui sortira en salles le 25 octobre 2023. En présence d’Albert. Jubilatoire.

« Second Tour » parle d’une campagne présidentielle, ou plutôt d’un candidat à cette campagne : Pierre-Henri Mercier, un quinquagénaire héritier d’une puissante famille française, novice en politique.
Suite à l’explosion du véhicule de Mercier à la sortie d’un meeting, Mademoiselle Pove (jouée par l’élégante Cécile de France, super coiffure dans ce film, je veux ton secret pour ces belles boucles blondes) est sollicitée pour suivre la campagne de Mercier. Troublée par ce candidat qu’elle a connu au lycée, elle mène son enquête non-officielle, loin des questions scriptées que sa direction lui transmet.

Donc, a priori, une satire du monde politique, des médias et de la collusion entre les deux.
Dupontel s’en est défendu pendant la séance de Q&A qui a suivi la projection du film, mais on ne nous la fait pas : son analyse est très claire dans le film, et d’ailleurs je la partage. On y trouve même tous les symboles favoris de l’élite occulte qui dirige le monde, entre autres le papillon (MK Ultra), la chouette (Bohemian Grove), le rouge (sacrifice ritualistique, si tu vois ce que je veux dire). L’affiche en rouge et noir, carrément. Ça ne peut pas être une coïncidence.

Mais ce n’est pas le sujet qui motive cet article aujourd’hui.

Le sujet qui m’occupe c’est le rapport évident entre le personnage de Mercier et l’autisme Asperger. D’ailleurs, Dupontel est clairement sur le spectre. Je l’ajoute à ma liste d’autistes célèbres, section « mon autidar personnel ». Ça faisait longtemps que je le supputais, l’observer et l’écouter hier en chair et en os a confirmé mon opinion à 1000%.

Quel est le lien, donc ?

Attention : mega spoilers à partir de maintenant !

L’enquête de Mademoiselle Pove déterre la vérité sur l’origine de Mercier, et sur l’existence d’un frère jumeau, qu’on lui a caché toute sa vie.

Il y a donc 2 personnages :

Pierre-Henri Mercier, le surdoué qui a fait tout le parcours des premiers de la classe de son milieu social : Montaigne, Louis Legrand, Normale, Polytechnique. Comme décrit dans le film, il est entré dans la normalité, il a suivi le parcours qu’on lui traçait, il s’est comporté selon ce qu’on attendait de lui. Il a suivi les codes pour trouver sa place. Après quelques décennies de professorat dans les meilleures écoles, il est poussé en politique. Il fait alors encore plus ce qu’on lui dit de faire, il dit ce qu’on lui dit de dire, au mot près. Il obéit à ses « sponsors », il est vidé de son identité, de sa substance. Il ment, il dissimule, il s’habille en costume et se lisse les cheveux. Il rentre dans le moule, le système, à l’extrême.

Son jumeau, un être à l’opposé, un être atypique, accumulant les dys, vivant seul quelque part au milieu de la nature sauvage. Il est apiculteur, il fabrique du miel avec ses abeilles, au sujet desquelles il est intarissable de connaissances encyclopédiques. Mais quand il s’agit de parler à un humain, il perd ses mots, il se comporte bizarrement, il comprend différemment les questions. Il est candide et même naïf, il paraît enfantin. Il dit ce qu’il pense, pour aider, il ne voit pas le mal.

Ces 2 personnages sont séparés vers l’âge de 2 ans. Le brillant surdoué est choisi et adopté par la riche Mme Mercier après un test (débile) d’aptitude innée à la compétition sociale, l’autre est renvoyé en Roumanie et finit dans un orphelinat, oublié de tous. Finalement à 6 ans il est ramené en France, éduqué dans l’ombre, installé dans la nature loin de tous. Pendant que son frère brillant poursuit son parcours brillant à la fierté de ses parents et de son environnement, il vit sa vie sans être exclus.

Pour moi ces 2 personnages sont en fait la même face du même homme : un autiste Asperger.

Sa partie brillante est mise en avant, il s’y accroche, c’est ce que le monde reconnait, accepte, valorise. Il dissimule sa vraie nature, il imite, il se conforme : c’est le fameux camouflage des autistes. Je m’y suis adonnée également, à fond : Polytechnique Féminine, HEC, carrière brillante dans la banque d’affaires. Tailleurs, chignon. Grades, promotions. Fiançailles. Et première dépression à 25 ans, je précise, parce que se faire disparaître à ce point, ça tue.

La partie étrange, dys, différente, autistique, est quant à elle enfouie, étouffée, cachée au monde.
Car elle est mal comprise : la différence cognitive et les difficultés de compréhension mutuelle qui en découlent le font passer pour un benêt. C’est la première réaction de la journaliste et de son (hilarant) cameraman. Il bafouille ses mots et ne décrypte pas tout de suite les questions, donc paf on le labellise simple d’esprit.

différence cognitive asperger

Jusqu’au jour où la personne publique embrasse la partie enfouie pour survivre. Littéralement. Dans le film c’est pour échapper au risque d’être assassiné par ses sponsors (qui veulent sa peau car il prévoit de ne plus leur obéir, et d’appliquer un programme à l’opposé de ce qu’on lui impose, un programme pour l’environnement et la justice sociale). Pour les autistes cette réunion de nos deux faces est indispensable pour survivre psychiquement et éviter les dépressions et finalement le suicide. Le taux de suicide chez les autistes est 9 fois supérieur à la moyenne. Tellement le camouflage est profond et détruit notre unicité.

Dans le film, grâce à la journaliste qui l’en informe, Pierre-Henri découvre ce jumeau qu’on lui avait caché. C’est l’équivalent du diagnostic, pour un autiste. Ou la réalisation soudaine qu’on est sur le spectre. Que toute notre vie, toute notre personne, s’expliquent par le fait d’être autiste. Un moment crucial, qui sauve et que l’on n’oublie jamais (lis l’introdution de mon livre, à ce sujet).

Ils se rencontrent. Le jumeau donne son sang pour sauver Pierre-Henri, touché par balle. Dans mon parallèle, les sponsors représentent la société. Elle est en train de tuer l’autiste formatté, car il ne se conforme plus, et c’est sa nature profonde, sa face différente, sa différence, qui le sauvent.

Ils déclarent tous les deux vouloir ne plus jamais être séparés. C’est le coming out. Et le début de la réconciliation de toutes nos facettes, l’intégration, la demande d’acceptation.

Finalement le jumeau prend la place de Pierre-Henri lors du débat d’entre deux tours de la campagne présidentielle. Il récite ce qu’on lui dicte dans l’oreille. Jusqu’au moment où Pierre-Henri, la personne publique, est épuisée, ne peut plus, ça n’a aucun sens, il s’éteint. Le jumeau répond alors selon son cœur, sincèrement, authentiquement, il parle des abeilles, de ce qu’il connaît, et de leur impact sur l’environnement. Et il s’y connaît. Il est concret et passionné, et c’est ce qui fait exploser l’audimat et la côte de popularité. Il est redevenu humain, unique, crédible.

Oui, dans la vraie vie, c’est mon expérience : c’est quand j’ai arrêté de camoufler que je suis vraiment née. Que ma santé s’est améliorée, l’énergie vitale revenue. C’est depuis que j’ai embrassé, intégré, dévoilé et laissé parler la totalité de mon autisme que je suis moi et que les autres me voient vraiment.

Je sais les raisons qui poussent à camoufler, et à ne pas sortir du placard. Je les comprends, et je les applique encoire parfois, par obligation ou par réflexe. La société n’est pas inclusive, les diktats sociaux sont puissants et broient la différence, surtout en France.
Mais le prix à payer est trop élevé, et j’encourage tous mes pairs autistes à se faire connaître, à vivre en tant qu’autiste et non en tant que personnage fabriqué, en tant que pâle copie creuse d’un.e neurotypique. Devenir soi est le chemin.

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